Alors que le PFTHD (Plan France Très Haut Débit) commence à toucher à sa fin, la dégradation des infrastructures de réseaux commence, elle, à se manifester davantage. En raison de la rapidité des installations, celles-ci ont été quelque peu négligées. Le mis en cause : Le mode STOC. Cette méthode de procéder est de plus en plus remise en question par les différents acteurs ; certains départements l’ayant même déjà banni.

 

Pour les initiés du sujet « Plan très haut débit », nous vous invitons à vous reporter directement au troisième chapitre : Le mode STOC.

 

Le Plan France Très Haut Débit

 

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Le Gouvernement a défini en février 2013, le Plan France Très Haut Débit, qui a pour vocation de couvrir l’intégralité du territoire français en THD, d’ici 2022. Pour couvrir uniformément la France, le plan a découpé le pays en deux parties : les zones très denses (ZTD) et les zones moyennement denses (ZMD). Suivant le type de zone, le déploiement de la fibre optique n’est pas organisé de la même manière.

 

Les ZTD sont déployées par des opérateurs privés, sur fonds propres, car le déploiement est économiquement viable.

Les zones moyennement denses se divisent, elles, en deux catégories :

  • Les zones AMII (Appel à Manifestation d’Intention d’Investissement), dans lesquelles un ou plusieurs opérateurs ont manifesté depuis 2011 leurs intentions de déployer une infrastructure en fibre optique et qui font l’objet de conventions avec les collectivités.
  • Les zones RIP (Réseaux d’Initiatives Publiques). Dans ces zones, le déploiement de la fibre n’est pas rentable, l’effort est donc supporté par les collectivités territoriales, avec le soutien financier de l’État et de l’Europe pour des partenariats publics-privés. Les Réseaux d’Initiatives Publiques (RIP), sont des réseaux neutres mutualisés exploités par un Opérateur d’Infrastructure. Ils sont issus de partenariats publics privés qui prennent la forme de délégations de Service Public en affermage ou en concession.

 

Quelques chiffres

 

 

Il existe tout de même des disparités dans le déploiement de la fibre selon le type de zones :

  • En zones très denses : 87 % des locaux couverts (6,5 millions de raccordements)
  • En zones AMII : 81 % des locaux couverts (13,5 millions de raccordements)
  • En zones RIP : 42 % des locaux couverts (7 millions de raccordements). Néanmoins, avec 3,6 millions raccordements attendus en 2021 (60% des raccordements), c’est dans les zones RIP que le déploiement de la fibre sera le plus massif en 2021.

Malgré la crise sanitaire, le rythme n’a pas faibli et ne faiblira pas en 2021. L’essor du télétravail a développé l’appétence des français pour le très haut débit. En effet, 6,2 millions de raccordements à la fibre sont prévus en 2021.

 

Avec l’accélération du déploiement de la fibre dans les zones RIP, une montée très importante des dégradations et des malfaçons ont été constatées sur la partie du raccordement final des clients. On observe, dès 2019, un taux très élevé d’échecs de raccordements, ainsi que des infrastructures – pour la plupart neuves – déjà très dégradées. La cause de tous ces maux : le mode STOC. Ce mode opérationnel, qui est aujourd’hui très décrié, fait fortement débats : en particulier sa mise en œuvre.

 

Le mode STOC

 

Le mode STOC signifie « Sous-Traitance Opérateur Commercial ». Il prévoit que l’Opérateur d’Infrastructures (OI) – constructeur du réseau – sous-traite le branchement du client à un Opérateur Commercial (OC) – fournisseur d’accès. Celui-ci, peut lui-même faire intervenir un sous-traitant, voire un sous-traitant de rang 2. Ce contrat porte sur le raccordement PBO-PTO et la pose du PTO chez le client. Le brassage au PM n’est pas compris dans la prestation, mais peut également être réalisé par l’OC, l’action étant dans ce cas de sa responsabilité.

 

 

 

Dans le cadre de ce contrat, l’Opérateur Commercial paie la réalisation du raccordement à son sous-traitant. Il est ensuite payé par l’opérateur d’infrastructures pour les travaux réalisés suivant une grille tarifaire définie dans le contrat avec l’OI. Enfin, l’Opérateur Commercial achète l’usage du raccordement à l’OI – les tarifs pouvant variés d’un OC à un autre chez un même OI.

Lors du CHURN [2], l’OI restitue des droits d’usage, sur la base d’un tarif de référence défini dans son contrat d’accès.

 

Pour les RIP, l’infrastructure de réseaux, y compris le tronçon de raccordement, appartient aux collectivités et est confiée à l’Opérateur d’Infrastructures pour la durée des Concessions de service, même si celui-ci est réalisé par les Opérateurs Commerciaux. L’OI est donc responsable de l’intégralité du réseau. Cependant, il n’a pas le droit d’intervenir sur le tronçon de raccordement lorsque celui-ci est réalisé en mode STOC.

 

Le mode STOC n’est pas utilisé qu’en zone RIP, il est hérité des zones AMII.  Bien que le fonctionnement soit le même, il existe des différences juridiques entre zone d’investissement privée et zone publique, quant à la nature de droit d’usage accordé sur la partie raccordement. Dans le cadre des RIP, les OC ont, de manière générale, moins de responsabilités sur la partie raccordement qu’en zone privée. Pour exemple, Orange cède à l’opérateur commercial, en zone d’investissement privée, un « droit réel temporaire (…) de la propriété de chacune des fibres des lignes Ftth » objet du cofinancement, avec démembrement de propriété. Alors que les droits d’usage fournis dans le cadre d’un RIP sont qualifiés de simple « droits de jouissance ».

 

Aujourd’hui la grande majorité des opérations de raccordement finales sont réalisées en mode STOC.

L’utilisation de ce mode s’explique par différentes raisons :

 

 

Etat des lieux

 

Le mode STOC est aujourd’hui très décrié par les collectivités et les OI qui font état d’un trop grand nombre d’avaries sur leurs territoires : dégradations des équipements, échec de raccordement importants, interruptions de services… Une exaspération croissante des consommateurs se fait également sentir car ils sont les premiers concernés.

 

Parmi, les problèmes rencontrés, on peut observer des raccordements au mauvais endroit, des débranchements sauvages, des dégâts matériels au domicile et sur les matériaux des infrastructures de réseaux (armoires de rue éventrées), des nœuds de cordons dans les PM, si ce n’est des « plats de nouilles », des réseaux saturés, etc… Cela induit des difficultés dans l’exploitation des lignes par les OI, dans la commercialisation par les OC et aussi des surcoûts liés à la remise en états des réseaux.

On retrouve malheureusement aujourd’hui de nouveaux réseaux dans des états de dégradation avancée ou prématurément sous dimensionnées.

Les mots sont forts pour décrire le mode STOC, on parle d’une « véritable Ubérisation du secteur des télécoms » (Nicolas Guillaume fondateur de Netalis), de « véritable boucherie » …

Lorsque l’on essaye d’analyser la provenance de tous ces problèmes, les opérateurs d’infrastructures et les opérateurs commerciaux se rejettent mutuellement les fautes.

On en est arrivé à un tel point que certaines collectivités souhaitent interdire le recours au mode STOC dans le cadre des RIP. Par exemple, depuis le 26 février 2021, Doubs THD a lancé une zone sans mode STOC : la zone « dé-STOC-ée ».

En 2019 cela a pris une telle ampleur qu’il a été demandé à l’ARCEP d’intervenir.

 

Crédit photo : @Bensay95

Prérequis d’un raccordement réussi

 

La qualité du raccordement final dépend d’un certain nombre de prérequis relatifs aux :

  • Infrastructures de génie civil mobilisables et de leur état ;
  • Matériels (PM, boîtiers, câbles, prise optique, cordon optique au PM) et de leur conformité aux spécifications techniques (ou « STAS ») de l’OI, aux préconisations du comité d’experts fibre optique, ainsi que de leur état général ;
  • Informations fournies à l’intervenant pour la réalisation de l’installation et du brassage au PM (notamment la référence de la ligne, la route optique, le type de raccordement, la position du PBO, etc.) ;
  • Modalités d’installation définies dans le document de STAS (« Spécifications Techniques d’Accès au Service ») de l’OI et de leur respect par l’intervenant
  • Réalisation d’un audit qualité en fin de chantier

 

 

Qu’en est-il pour le fonctionnement en mode STOC ?

 

Lorsque l’on fait le bilan des raccordements en mode STOC, on constate que beaucoup des prérequis ne sont pas au rendez-vous. Ainsi, on constate 4 grands types de problématiques :

► Le non-respect des spécifications techniques d’accès au service (STAS). Il se voit en particulier au niveau des PM et des PBO. Par exemple, le non respects des règles de brassage au PM conduit à des nœuds de cordons qui peuvent impliquer des défauts de qualité de service de lignes, voire des interruptions de service et dans les opérations de raccordement.

► La divergence entre la route optique utilisée et celle enregistrée dans le SI. La route optique emprunté sur le terrain n’est régulièrement pas celle indiquée par l’OI, ce qui peut entrainer des saturations, ou des interruptions de service. Sur ce point, 2 sources majeures sont identifiées :

 

  • Il est constaté que les intervenants terrain ne disposent pas toujours des plans d’études et doivent contacter la hotline de l’OI pour essayer d’obtenir des informations sur le réseau. Le technicien se retrouve donc à trouver/créer son propre cheminement du PBO au PTO et se raccorder où il peut quel que soit les conséquences
  • De nombreuses communes en France ne disposent pas d’adresse postales normalisées. Or, beaucoup de services sont fondés sur la localisation. Le déploiement, ainsi que la commercialisation de la fibre optiques se heurtent à cet obstacle majeur puisque chaque ligne optique doit desservir un local ou un logement précis.

 

►Les dégradations des éléments du réseaux. Elle est malheureusement très présente dans les zones de RIP.

► Aucun audit terrain, ou reporting photo n’est réalisé/contrôlé.

 

Les problèmes liés aux responsabilités

 

Le partage des responsabilités des intervenants est mis en cause dans les problématiques du raccordement en mode STOC. En effet, la loi stipule qu’actuellement seul l’opérateur d’infrastructure est responsable du bon fonctionnement et de l’entretien des équipements de raccordement à la fibre optique. De ce fait, les surcoûts liées aux dégradations et dysfonctionnement leurs incombent, bien qu’ils n’interviennent pas dessus. N’ayant pas d’implication pécuniaire, les OC sont moins engagés dans la résolution de ces problèmes de dégradations.

 

Les problèmes liés aux financiers

 

 

Comme cité précédemment, le mode STOC a été créé au moment où le déploiement de la fibre se réalisait dans des zones denses. A ce jour les zones d’initiative publique font partie des zones les moins denses du territoire, par définition elle est ainsi susceptible de regrouper une forte proportion de raccordements difficiles. Le système de rémunération est donc obsolète, plus adapté à la réalité du terrain.

Le constat est clair du côté des intervenants terrain. Ils sont payés à l’acte et non au temps passé à raccorder un usagé. Du fait même de leur mode de rémunération par les opérateurs de services, afin de faire du « chiffre », certains techniciens ne prennent plus le temps nécessaire pour que leur intervention soit effectuée dans les règles de l’art et sans impact négatif pour les autres clients et l’infrastructure.

Enfin le manque de concurrence dans ces zones où le taux de pénétration est faible joue en défaveur de l’OI qui se trouve contraint aux exigences tarifaires de l’OC aboutissant sur une guerre des prix.

 

Contrat STOC V2

Afin d’apporter des réponses aux difficultés identifiées, l’ARCEP a mis en place un groupe de travail en 2019 réunissant les opérateurs d’infrastructures et les opérateurs commerciaux pour trouver des solutions en vue d’améliorer l’exploitation des réseaux.

L’enjeu de réduction des problèmes rencontrés porte sur l’ensemble de la chaîne de valeur (OI, OC et techniciens), concerne tous les acteurs (opérateurs, prestataires, collectivités et abonnés), et ce indépendamment du mode de raccordement.

Ce nouveau cadre contractuel tourne autour de trois grands principes : (source Infranum)

 

 L’amélioration de la sécurité et la qualité des interventions qui passera notamment par l’accompagnement systématique par l’opérateur d’infrastructures de tout nouvel intervenant sur le réseau, la réalisation d’audits communs et des sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion d’un sous-traitant. Le renforcement de la transparence qui reposera entre autres sur des comptes-rendus d’interventions avec photos horodatées ou un contrôle par un système d’intelligence artificielle. Le rééquilibrage des coûts de maintenance entre OI et OC avec l’instauration d’“une prise en charge collective des frais de remise en état du réseau, selon une clé de répartition approuvée par l’Arcep”.

En dehors des grands axes, nous retrouvons aussi les outils/procédures à respecter/mettre en place comme :

  • Généralisation de l’application « e-Mutation » sur tous les réseaux
  • Développement d’outil inter-opérateurs de notifications et de suivi des malfaçons pour reprise
  • Mise en place d’un flux de signalement, entre OI et les OC, des malfaçons constatées sur le terrain
  • Mise en place d’outil de prévention des déconnexions clients
  • Amélioration de la Base d’Adresses Nationales (« BAN »)

De nouveaux indicateurs spécifiques sur l’exploitation FttH viseront à mesurer l’évolution de la situation de l’exploitation du réseau.

 

L’Arcep considère que, pour améliorer la qualité des raccordements finaux, il convient de renforcer la responsabilité des différents intervenant de la chaîne de sous-traitance et que c’est à l’OI « d’introduire dans ses contrats les mécanismes nécessaires à cette fin ».

 

Financement complémentaire des raccordements complexes pour aider les collectivités

 

Une aide de 150M€ est prévue pour des raccordements complexes qui intégrerait les locaux dans lesquels le génie civil n’est pas accessible et les échecs de raccordements. Il est précisé que les raccordements dit « long » (+ de 100 mètres) ne sont pas inclus.

Extrait du sénat : « Si l’objectif de raccorder 100 % des locaux à la fibre ne semble pas réaliste, le rapporteur juge impératif de s’assurer que les raccordements techniquement réalisables soient menés à bien, quand bien même ils seraient coûteux et plus difficiles à mettre en œuvre pour les opérateurs. »

 

Fin du plan THD et transition vers la maintenance/exploitation « Vie du Réseau »

 

 

Ce mode STOC V2 arrive sur la fin du plan THD afin de permettre des raccordements dans les « règles de l’art ».

Les dernières années de déploiement permettront de fiabiliser ce nouveau modèle dans un but de « remettre au propre » des interventions passées et préparer l’avenir avec l’exploitation avec la maintenance du réseau, appelé « Vie du réseau » dont nous vous partagerons les principes dans un futur article.

 

 

[1] Source : https://blog.ariase.com/box/dossiers/deploiement-fibre-optique

[2] désigne la perte de clientèle ou d’abonnés